Sans tambour ni trompette, les Ivoiriens sont en train de donner une grande leçon de démocratie au monde, après une crise armée de huit ans.
Le premier tour de l’élection présidentielle a enfin livré ses secrets hier. Au bout d’un suspense de plus de 72 heures, les électeurs ont décidé de repasser aux urnes pour départager Laurent Gbagbo, candidat de La majorité présidentielle (Lmp) et Alassane Ouattara, celui du Rassemblement des républicains(Rdr).
La première grande leçon de ce scrutin, c’est l’historique taux de participation de plus de 80%. Pour rappel, le référendum du 23 juillet 2000 sur la nouvelle constitution avait enregistré un taux de 65,05%. La présidentielle du mois d’octobre verra ce taux tomber à 37,42%. Les électeurs se sont sans doute laissé séduire par la perspective de voir s’affronter, pour la première fois depuis 1995, MM. Gbagbo, Ouattara et Henri Konan Bédié, candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire(Pdci). Une manière, sans doute, de solder les comptes du boycott actif (1995), de l’Ivoirité, de l’exclusion et de la violence politique qui en ont résulté.
Vote régional
La seconde observation est la survivance des blocs régionaux. Ce vote profite le plus à Ouattara qui réalise des scores soviétiques dans la partie nord du pays (85,9% à Korhogo et 93% dans le Denguélé). Bédié, lui, doit s’accommoder d’une érosion de cette base régionale (65,53% dans le N’Zi Comoé, sa région natale). Même s’il réalise un score de 80,82% à Sakassou, siège de la royauté baoulé. Gbagbo n’échappe pas à ce phénomène d’érosion. Il ne l’emporte qu’avec 53,25% dans sa région natale du Fromager. Mais, il faut noter que le président sortant réussit à se sortir de cette trappe régionaliste en allant s’imposer dans plusieurs régions, notamment le Zanzan qui fait frontière avec le Burkina Faso et le Ghana. Il a d’ailleurs conquis toutes les régions frontalières de l’Est, au détriment de Bédié. L’on peut estimer que l’effet ‘’Majorité présidentielle’’ a joué à fond dans les régions de l’Est conquises par le chef de l’Etat. Quant au nord du pays, il n’a visiblement pas prêté une oreille attentive aux arguments de cette majorité construite par Gbagbo. Les scores du président sortant sont restés très modestes dans cette partie du pays. Et, ce n’est pas faute d’avoir essayé d’ébranler le candidat du Rdr sur ses bases. A l’évidence, une première sortie ratée pour son directeur de campagne, Issa Malick Coulibaly. Ce natif de Korhogo (Région des Savanes), pourrait en sortir affaibli.
En dehors du pays akyé et Abbey, (Agnéby, 74,89% pour Gbagbo), les autres régions de la moitié-sud du pays sont plutôt bien disputées. Le score du gagnant tournant autour de 50%.
La troisième leçon de ce scrutin est la confirmation du potentiel citadin du Rdr. Ce qui a permis au candidat de la rue Lepic de l’emporter à Bouaké (50,55%), en plein pays baoulé. Par exemple, dans le Zanzan, il l’emporte largement à Bondoukou, avant de céder progressivement du terrain à Gbagbo, qui finit par lui ravir la mise. Il devance son allié Bédié à Gagnoa et Gbagbo dans la capitale politique, Yamoussoukro. Ses scores à Abidjan confirment cette réalité selon laquelle le RDR est un phénomène urbain.
Autre surprise de ce premier tour, Bédié a gagné dans les régions forestières du Bas-Sassandra, qui englobent la nouvelle boucle du cacao, une partie du terrain perdu à l’Est, ancienne boucle du cacao. Il le doit sans doute à la forte population rurale, venue du Centre pour mettre en valeur les forêts de l’Ouest et du Centre-ouest. Enfin, la bataille pour le contrôle de la capitale économique a effectivement eu lieu. Mais au détriment de Bédié qui a ainsi perdu la très symbolique commune de Treichville.
Ernest lemanois